HMI : les créateurs et leur zone de confort, un mal éprouvant
N’avez-vous jamais constaté que la grande majorité des artistes dans ce qui nous sert d’industrie musicale sont approximatifs dans leur production, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas toujours excellents ? On aurait dit des lunatiques. Ils ne sont pas toujours géniaux. Avec eux, c’est l’éternel retour de l’étrange cas de « Mister Hyde et du docteur Jekyll ». Dans ce délire, ils peuvent proposé une œuvre qui provoque un « Waowww !!! » d’admiration et la prochaine œuvre, un « ahh !!! » d’insatisfaction, de déception n’ayant pas le même niveau de qualité ou pas de qualité tout court. Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce mouvement de flux et reflux au niveau de la qualité des œuvres dans notre marché musical ? Avant d’avancer, il faut quand même admettre qu’un petit nombre de créateurs ont fait preuve de constance à travers les années, malheureusement c’est une espèce en voie d’extinction. À la question posée plus haut, disons tout d’abord que ce n’est pas nécessairement le niveau de l’artiste qui a baissé, parce qu’a priori c’est ce qu’il y paraît, en même temps il faut reconnaître que c’est souvent de ça qu’il est question en fait. Mais faisons abstraction un moment et considérons deux facteurs à la base de ce constat de fluctuations dans les propositions musicales.
Le premier facteur est que très souvent c’est le niveau d’exigence des consommateurs qui a évolué dans l’intervalle de la présentation de deux œuvres sorties du même cru. Prenons par exemple Roody Roodboy qui a sorti « Fòk tèt ou la » en 2016 et a attendu 7 ans pour publier « Tou 9 », donc dans cet intervalle il est normal que l’abonné trouve que le niveau de production de l’artiste a baissé surtout qu’il n’a pas vraiment proposé de nouveauté en terme de sonorité. Il ne faut pas oublier que ce même client se fait assaillir par des centaines, voire des milliers d’autres produits inédits les uns plus intéressants que les autres entretemps. Sachant que le goût ça évolue aussi, le consommateur ne peut pas se circonscrire à un seul univers artistique, c’est d’autant plus une nécessité pour lui quand la monotonie y est criante.
Quant au second facteur, il a une connexion avec le premier, on va le découvrir. Chez nous les artistes ont tendance à construire une zone de confort automatiquement àpres une trouvaille artistique réussie. Le fait qu’ils ont la trouille de sortir de cette zone de confort, leur production se retrouve à stagner sous le poids de la monotonie. À ce stade, le public dont le goût ne cesse d’évoluer a, a posteriori, le sentiment que l’artiste régresse. Ce refus de sortir de la zone de confort fraîchement créée s’explique par la peur de ne pas être en mesure de faire mieux, ce qui occasionne une phobie du risque chez l’artiste ; or c’est la prédisposition à prendre le risque d’aller toujours plus loin qui caractérise un véritable artiste. Cette propension à chercher l’inédit, à créer le choc chez le contemplateur c’est ce qui, au demeurant, détermine son rapport avec le public.
Est artiste à demi celui qui se circonscrit morbidement dans une espèce de tour d’ivoire esthétique. Cette dernière n’arrange rien définitivement, et pour comble, elle ferme l’artiste dans l’illusion que le public est un acquis permanent. Faux, archi-faux ! On l’a évoqué plus haut, le goût qui représente le prisme de la contemplation évolue plus vite qu’on ne le croit. L’artiste se dit qu’il peut proposer du « bouyon rechofe » et que cela ne va pas déranger le public acquis.
Vu que les consommateurs se plaignent très rarement quand ils ne sont pas satisfaits, l’artiste peut avoir l’impression que le coup a fonctionné, mais c’est encore une belle bourde de sa part. Le contemplateur n’est pas dupe, il faut le croire, il attend de l’artiste que ce dernier repousse les limites de son génie, ose proposer de nouvelle chose à chaque fois quitte à se mettre en danger commercialement. Sur cette base, on peut comprendre que l’artiste ne doit aucunement avoir de zone de confort, en ce sens que l’art a besoin de plus de liberté que possible pour répondre à sa vocation qui est de permettre à l’humanité de s’élever vers la perfection.
Tom Kensley Marcel
(Négr’Orangé)